Retour sur la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante
L’article 1er de la loi du 14 février 2022 a limité le gage des créanciers professionnels de l’entrepreneur individuel aux seuls biens « utiles » à l’activité de ce dernier. Plusieurs textes réglementaires ont été pris afin de permettre une entrée en vigueur effective de ce nouveau statut de l’entrepreneur individuel à la date du 15 mai 2022.
- L’article 1er de la loi du 14 février 2022
- La situation antérieure à la loi :
– Le principe
L’entrepreneur individuel répond sur l’ensemble de ses biens des dettes nées à l’occasion de son exercice professionnel.
Cela en vertu de la règle de l’unicité du patrimoine. Aux termes de l’article 2284 du Code civil qui dispose « Quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »
– Les exceptions
Depuis la loi « Macron » du 6 août 2015, la résidence principale de l’entrepreneur individuel est, de plein droit, insaisissable par ses créanciers professionnels. Les autres biens immobiliers de l’entrepreneur individuel, à l’exclusion des biens immobiliers affectés à son activité, peuvent faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité par acte notarié.
Enfin la loi du 15 juin 2010 a créé le régime de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL). Dans ce système, tout en conservant le statut d’entrepreneur individuel, l’exploitant délimite par une déclaration d’affectation effectuée sur un registre de publicité légale les biens sur lesquels ses créanciers professionnels pourront poursuivre le recouvrement de leurs créances.
- Pourquoi une réforme ?
L’objectif a été d’étendre au-delà de la seule résidence principale la protection assurée au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel en cas de défaillance. Si elle a été créée dans ce but, l’EIRL, qui impose l’accomplissement de démarches et formalités parfois jugées contraignantes, n’a pas eu le succès escompté. Seuls 1 % des entrepreneurs individuels (un peu moins de 100 000 sur un total de 3 000 000 ont choisi ce statut).
- En quoi consiste la réforme ?
La réforme consiste à revenir sur le principe de l’unicité du patrimoine en limitant le gage des créanciers professionnels aux seuls biens « utiles » à l’activité professionnelle, les biens personnels de l’entrepreneur étant ainsi placés à l’abri de leurs poursuites.
Contrairement à ce qui se passe dans le système de l’EIRL, la protection du patrimoine personnel s’opère de plein droit, sans que l’entrepreneur ait à accomplir quelque démarche que ce soit.
- Les conséquences pratiques du nouveau dispositif
- Le principe
Le droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel dont les créances sont nées à l’occasion de l’exercice de sa profession se limite au seul patrimoine professionnel de l’intéressé.
Le droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel dont les créances ne sont pas nées à l’occasion de l’exercice de sa profession se limite au seul patrimoine personnel de l’intéressé. Toutefois, en cas d’insuffisance de ce patrimoine, le gage des créanciers personnels peut s’exercer sur le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.
- Les exceptions
L’entrepreneur individuel peut, sur demande d’un créancier en particulier, renoncer
à la protection pour un engagement spécifique.
L’entrepreneur individuel reste tenu sur l’ensemble de ses biens du paiement de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immobiliers utiles à l’exercice de son activité professionnelle.
Concernant les autres impôts à caractère professionnel ainsi que les cotisations sociales, l’entrepreneur n’est tenu à un paiement sur l’ensemble de ses biens qu’en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations.
- Des incertitudes quant à la portée effective du nouveau dispositif
Que faut-il entendre exactement par l’expression « créances nées à l’occasion de l’exercice professionnel » ?
Alors que le Sénat avait entendu exclure de la protection les créances résultant de la mise en jeu de la responsabilité des professionnels libéraux au titre des actes accomplis dans le cadre de l’exercice de leur profession, cette exclusion n’a pas été reprise dans le texte définitif.
D’un point de vue plus général, des interrogations subsistent cependant quant à la protection offerte par le nouveau texte en matière extracontractuelle (responsabilité quasi-délictuelle ou délictuelle).
6. Que devient l’EIRL ?
L’article 5 de la loi met en extinction le statut de l’EIRL, qui perd sa raison d’être.
Si les entrepreneurs ayant choisi ce statut y demeureront soumis, il n’est plus en revanche possible d’y avoir recours depuis la publication de la nouvelle loi. Il est précisé dans le nouveau texte que les entrepreneurs individuels ayant choisi ce statut conserveront la possibilité de soustraire de leur patrimoine professionnel des éléments qui y ont été affectés.
B. La mise en œuvre de la réforme
- La définition des biens « utiles » à l’activité professionnelle (Décret du 28 avril 2022)
Aux termes du décret, ces biens s’entendent de ceux qui « par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité ». Ils comprennent notamment :
- Le droit de présentation de la clientèle libérale (au même titre que le fonds de commerce, le fonds artisanal et le fonds agricole) ;
- Le matériel et l’outillage ;
- Les locaux servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale utilisée pour un usage professionnel ;
- Les actions ou parts de sociétés à travers lesquelles les locaux servant à l’activité sont détenus ;
- Les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés.
L’exclusion du périmètre de protection de la partie de la résidence principale utilisée pour un usage professionnel se recommande d’un souci de cohérence avec les dispositions, toujours en vigueur, du Code de commerce relatives à l’insaisissabilité de la résidence principale (article L 526-1). Ces dispositions restreignent en effet l’insaisissabilité à la seule partie de la résidence utilisée à titre privé.
Pour autant, outre des difficultés pratiques de mise en œuvre, cette exclusion risque de créer des incompréhensions et désillusions, tout particulièrement si la partie de la résidence principale utilisée pour l’exercice de la profession reste très minoritaire comme c’est souvent le cas s’agissant des activités de service.
- Les mentions obligatoires (Décret du 28 avril 2022)
Depuis le 15 mai dernier, pour l’exercice de son activité professionnelle, le travailleur indépendant doit utiliser une dénomination incorporant son nom précédé ou suivi immédiatement des mots « entrepreneur individuel » ou « EI ».
Ces mentions obligatoires doivent figurer dans tous les actes et documents concernant son activité professionnelle, et notamment :
- Les factures, devis, correspondances ;
- Les comptes bancaires dédiés à l’activité professionnelle.
Le non-respect de cette obligation est sanctionné par une amende de 135 euros
La nouvelle protection accordée à l’entrepreneur individuel justifie qu’il puisse être identifié en tant que tel par ses cocontractants, à l’image de ce qui est déjà prévu pour les sociétés.
Des pratiques abusives de la part de certains établissements bancaires qui, profitant de cette nouvelle obligation, imposent aux professionnels libéraux exerçant à titre individuel, l’ouverture d’un compte dit « professionnel » et soumis à une tarification spéciale et onéreuse.
Pour rappel, les professionnels exerçant à titre individuel, contrairement à ceux exerçant en société, ne sont pas soumis à l’obligation d’ouvrir un compte professionnel pour leur activité libérale. Ils peuvent se contenter de l’ouverture d’un compte « de particulier » dédié à leur activité professionnelle moins onéreux. Mais il semble que certaines banques veuillent revenir sur cette distinction.
- La renonciation à la protection du patrimoine personnel (Décret et arrêté du 12 mai 2022)
Cette renonciation est effectuée au profit d’un bénéficiaire déterminé et porte sur un engagement particulier. L’arrêté du 12 mai contient un modèle-type d’acte de renonciation.
Régime de l’auto-entrepreneur
A. Le régime de l’auto-entrepreneur, un système à trois étages :
- Premier étage : le régime micro-BNC
Qui est concerné ? : L’ensemble des PL (professions réglementées ou non réglementées) réalisant un chiffre d’affaires annuel ne dépassant pas 72 600 euros et n’ayant pas opté pour le régime du réel (régime de la déclaration contrôlée)
Quelles caractéristiques ? Détermination du bénéfice soumis à l’IR par application d’un abattement de 34 % au montant du chiffre d’affaires. Le bénéfice professionnel donnant prise à l’impôt sur le revenu est donc réputé égal à 66 % du chiffre d’affaires, obligations comptables et déclaratives très allégées.
Quelles différences avec le régime de droit commun ? Dans le cadre du régime de droit commun, le bénéfice imposable est déterminé par différence entre le montant des recettes et l’ensemble des charges suivantes : achats, impôts (taxe foncière et CFE), amortissement du matériel (et de la clientèle acquise entre le 1/1/2022 et le 31/12/2025), loyers, frais de déplacement, frais de personnel, cotisations sociales personnelles.
Quelles conséquences ? Financièrement parlant, le régime micro-BNC ne se révèle concurrentiel avec le régime du réel que dans l’hypothèse où le montant des charges effectivement supportées reste inférieur à 34 % du montant des recettes.
- Deuxième étage : le régime micro-social
Qui est concerné ? L’ensemble des Professions Libérales placées sous le régime micro-BNC et n’appartenant pas à un secteur réglementé. Le micro-social s’applique donc d’office à toutes les Professions Libérales des secteurs non réglementés dont les recettes annuelles ne dépassent pas 72 600 euros et qui n’ont pas opté pour le régime du réel (régime de la déclaration contrôlée).
Quelles caractéristiques ? Calcul des cotisations sociales du professionnel par application d’un taux forfaitaire global de 22,2 % au montant de son chiffre d’affaires.
Nota : les cotisations des Professions Libérales soumises au micro-BNC (recettes annuelles inférieures à 72 600 euros) mais exclues du micro-social en tant que Professions Libérales réglementés sont calculées, chacune au taux qui leur est propre, sur la même base que l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire sur 66 % du montant du chiffre d’affaires.
Quelles différences avec le régime de droit commun ? Dans le cadre du régime de droit commun, les cotisations (maladie, allocations familiales, retraite, CSG-CRDS) sont calculées, chacune au taux qui leur est propre, sur la base du bénéfice effectivement réalisé.
Quelles conséquences ? Financièrement parlant, le régime micro-social ne se révèle concurrentiel avec le régime de droit commun que dans l’hypothèse où le montant des cotisations qui seraient calculées selon le régime de droit commun se révèle supérieur à 22,2 % du montant des recettes.
Quelques statistiques : D’après les sources Urssaf, il semble possible d’évaluer les Professions Libérales soumis au régime micro-social et « économiquement actifs » (*) à environ 380 000 à la fin décembre 2021.
Les chiffres d’affaires moyens vont de 14 000 euros (santé, enseignement) à 38 000 euros (activités juridiques).
(*) « Economiquement actifs » : auto-entrepreneurs ayant déclaré un chiffre d’affaires au cours des trois derniers mois. Les auto-entrepreneurs « administrativement actifs » c’est-à-dire immatriculés en tant qu’auto-entrepreneurs, sont deux fois plus nombreux
- Troisième étage : le régime micro-fiscal optionnel
Qui est concerné ? Les Professions Libérales soumises au régime micro-social dont le revenu n’excède pas un certain plafond (exemple : environ 64 000 euros pour un couple avec un enfant à charge). Ainsi, la condition de revenu étant supposée remplie, l’option pour ce régime est ouverte aux Professions Libérales non réglementées réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 72 600 euros et n’ayant pas opté pour le régime du réel (régime de la déclaration contrôlée).
Quelles caractéristiques ? Calcul de l’impôt sur le revenu par application d’un taux forfaitaire de 2,2 % au montant des recettes.
Nota : L’impôt relatif aux autres revenus du foyer (salaires, revenus patrimoniaux…) est calculé en faisant application de la règle dite du « taux effectif ». En pratique, l’impôt en question est calculé comme si l’impôt relatif aux revenus BNC était lui-même soumis au barème progressif (et non calculé par application d’un taux forfaitaire).
Quelles différences avec le régime de droit commun ? Dans le cadre du régime de droit commun, l’impôt sur le revenu est calculé par application du barème progressif au bénéfice effectivement réalisé.
Quelles différences avec le régime micro-BNC ? Dans le cadre du régime micro-BNC, l’impôt sur le revenu est calculé par application du barème progressif à 66 % du montant des recettes.
Quelles conséquences ? Pour un contribuable relevant du régime micro, l’intérêt éventuel d’une option pour le micro-fiscal ne peut qu’être étroitement tributaire de sa situation familiale (nombre de personnes à charges) et du niveau des autres revenus du foyer.
- Focus : quelle situation au regard de la TVA ?
Les titulaires de BNC dont les recettes annuelles n’excèdent pas 34 400 euros sont exonérés de la TVA (régime de la franchise en base).
Il en va ainsi qu’ils aient choisi de rester placés sous le régime micro ou qu’ils aient opté pour le régime de la déclaration contrôlée. S’ils estiment y avoir intérêt, les intéressés peuvent opter pour le paiement de la taxe et ainsi récupérer la TVA grevant leurs achats de biens ou de services.
Une telle option reste sans incidence sur le régime d’imposition de leurs bénéfices (régime micro ou régime de la déclaration contrôlée).
B. Le régime de l’auto-entrepreneur, atouts et faiblesses
- Des atouts incontestables en termes de simplicité
Atout du micro-BNC : Les Professions Libérales sont dispensées de souscrire une déclaration n° 2035 détaillants le montant de leurs recettes et de leurs charges. Ils ont pour seule obligation de mentionner le montant de ses honoraires sur la case prévue à cet effet de sa déclaration de revenus (formulaire 2042 PRO).
Atouts du micro-social :
- L’atout lisibilité : les cotisations étant calculées à un taux forfaitaire global sur le montant des recettes mensuelles ou trimestrielles (et non du bénéfice comme c’est le cas dans le cadre du régime de droit commun), les Professions Libérales sont à même d’en apprécier directement le poids effectif ;
- L’atout synchronisation : les cotisations étant tributaires de la réalisation d’un chiffre d’affaires au cours du mois ou du trimestre écoulé, elles cessent d’être dues en cas d’arrêt de l’activité (absence de régularisations ultérieures contrairement à ce qui se passe dans le cadre du régime de droit commun).
- Financièrement concurrentiel avec le régime de droit commun ?
Pour rappel, le micro-BNC est concurrentiel dans l’hypothèse où les charges effectives de toute nature restent inférieures à 34 % du montant des recettes. Le micro-social est concurrentiel dans l’hypothèse où les cotisations qui seraient dues dans le cadre du régime de droit commun (c’est-à- dire calculées chacune au taux qui leur est propre sur le montant du bénéfice réalisé) sont supérieures à 22,2 % du montant des recettes.
Méthode : La méthode utilisée a consisté à comparer la situation des Professions Libérales ayant optées pour le régime du réel avec celle qui aurait été la leur si elles avaient choisi de rester placés sous le régime micro (régime normalement applicable compte tenu du montant de leurs recettes annuelles).
Quel bilan ?
L’application du régime de droit commun se révèle systématiquement plus favorable que le régime micro-BNC. Le montant des charges réellement supportées dépasse parfois de très loin le forfait de 34 % des recettes accordé dans le cadre de ce régime. En revanche, dans 3 cas sur 5, l’application du régime micro-social (22,2 % du montant des recettes) apparaît comme générateur d’économies de cotisations par rapport au régime de droit commun.
Donc, le 15 mai 2022 est entré en vigueur le nouveau statut unique de l’entreprise individuelle. L’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL) ne peut plus être choisie puisque tous les entrepreneurs individuels bénéficient désormais d’une protection automatique de leur patrimoine personnel.
Chaque entrepreneur dispose automatiquement d’un patrimoine professionnel dédié à son activité. Tout le reste est considéré comme son patrimoine personnel et est protégé, au-delà de la seule résidence principale du foyer, comme une résidence secondaire, une voiture personnelle, un portefeuille d’actifs mobiliers, etc.
Par principe, seuls les biens professionnels peuvent faire l’objet de poursuites par les créanciers. De la même manière, les créances personnelles peuvent être poursuivies en premier lieu sur le patrimoine personnel et ensuite, sur le patrimoine professionnel, dans la limite du bénéfice réalisé lors du dernier exercice.
Il est toutefois possible pour l’entrepreneur de renoncer à ce bénéfice de séparation des patrimoines, en particulier pour bénéficier d’un crédit auprès d’une banque.
La protection du patrimoine personnel lors d’une procédure collective
Un entrepreneur individuel en difficultés financières ou en cessation de paiement appréciera la protection de son patrimoine personnel. Cette protection s’applique également en cas de procédure collective comme le redressement ou la liquidation judiciaire. Le passif de l’entreprise individuelle ne peut être comblé par la vente des biens personnels.
Autre nouveauté : en cas de liquidation judiciaire l’entrepreneur peut exercer une nouvelle activité professionnelle et constituer un nouveau patrimoine professionnel sans attendre la clôture de la procédure de liquidation (sauf en cas de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif au cours des 5 dernières années).
Une exception en cas de faute de gestion ! Si l’insuffisance d’actif est due à une faute de gestion, le tribunal de commerce peut condamner l’entrepreneur à rembourser les créanciers sur ses fonds ou ses biens personnels.
Enfin, l’entrepreneur individuel peut désormais, du fait de la séparation des patrimoines, bénéficier du régime du surendettement des particuliers pour son patrimoine personnel.